jeudi 18 octobre 2012

Le sort des actes de gestion portant empiétement sur les prérogatives de la collectivité des associés.



L’hypothèse de l’empiètement d’un acte de gestion pris par le dirigeant d’une société commerciale sur les pouvoirs de la collectivité des associés peut paraître surprenante de prime abord. En effet,  les associés sont compétents pour les questions importantes qui concernent souvent l’existence même de la société, comme la modification des statuts, la dissolution ou encore la fusion avec une autre société. Il est donc difficile d’appréhender l’hypothèse qu’un dirigeant puisse interférer dans ces  grandes décisions constituant les orientations de la société par des actes relevant de la gestion quotidienne. De même,  il est difficile d’admettre qu’un tiers puisse penser que l’une de ces décisions est du ressort du dirigeant, tant il est évident qu’elle ne concerne pas la gestion de la société[1].

Cependant, un acte de gestion pris par le dirigeant dans le cadre de la gestion quotidienne de la société peut porter indirectement, une atteinte aux pouvoirs des associés. Cette hypothèse se présente notamment, à l’occasion de la prise d’actes de gestion qui emportent, indirectement, modification ou dissolution de la société.


Le droit des sociétés commerciales réserve d’une façon générale à la collectivité des associés les décisions les plus importantes sur la marche de la société. C’est ainsi que la décision de modification des statuts ou celle de dissolution des sociétés est du ressort des associés. Etant d’une nature légale, cette compétence a un rayonnement erga-ommes, en ce sens qu’elle s’impose aussi bien aux associés et aux dirigeants qu’aux tiers, qui ne sont pas censés l’ignorer[2].

Le dirigeant, ayant les pouvoirs les plus étendus pour engager la société nonobstant toutes restrictions conventionnelles des pouvoirs, ne peut engager la personne morale si l’acte qu’il conclut empiète sur les pouvoirs dévolus à la collectivité des associés. Les tiers ne peuvent dans ce cas invoquer la plénitude des pouvoirs du dirigeant concluant l’acte au nom de la société.

Il en découle que les actes effectués par le dirigeant, et qui emportent indirectement modification statutaire, n’engagent pas la société. Les tiers doivent savoir que celui-ci ne peut de son propre chef, modifier les statuts.

L’exemple le plus classique est l’acte de disposition ayant pour objet, un bien statutaire. Un tel acte ne rentre pas dans les pouvoirs les plus étendus du dirigeant. La vente d’un bien inscrit dans les statuts revient à une modification statutaire indirecte.

Il en est, ainsi, lorsque le bien est inscrit dans les statuts, comme étant lié à l’objet social[3]. Dans la célèbre affaire de l’hebdomadaire de Doullens, la Cour de cassation française a décidé que la cession d’un hebdomadaire, objet d’exploitation d’une S.A.R.L, n’engage pas la société, parce qu’elle équivaut à une modification statutaire. En l’espèce, la nomination de l’hebdomadaire aliéné était celle de la société. Selon la Cour, cette cession implique nécessairement un changement de la dénomination sociale et, partant, elle constitue une modification des statuts[4].

Dans cette affaire, la Cour de cassation française a bien distingué, entre d’une part, les actes qui portent atteinte à l’objet social en modifiant la clause statutaire qui le règlemente et d’autre part, les actes qui dépassent l’objet social, sans pour autant le remettre en cause en tant que mention statutaire[5]. En effet, tout en rejetant le pourvoi formé contre la décision de la Cour d’appel[6], qui avait soutenu que l’acte de vente équivalait à une disparition de l’objet social, la Cour de cassation a opéré une substitution de motif et a considéré que l’acte emporte une modification indirecte des statuts.

En outre, dans l’affaire « la villa des sources », un nouveau président du conseil d’administration contestait la promesse de vente consentie par son prédécesseur qui concernait le fonds et l’immeuble dans lequel était exploitée la maison de repos gérée par l’entreprise. D’après lui, l’opération aurait abouti à rendre impossible la poursuite de l’objet social. La Cour de cassation a rejeté les prétentions du demandeur, en soulignant que la Cour d’appel avait noté avec exactitude que l’objet social n’était pas limité à l’exploitation de la maison de repos «  La villa des sources », mais était, plus généralement, l’exploitation de toutes maisons de repos. La solution aurait été différente si les statuts avaient limité l’objet social à la seule « Villa des sources »[7].

De même, il a été jugé que si une mine constitue l’objet essentiel d’une société à qui elle a donné son nom, l’acte par lequel le conseil d’administration dispose, par voie d’amodiation perpétuelle de cette mine, doit être déclaré nul, parce qu’il porte sur un bien statutairement désigné comme constituant l’objet social[8].

De manière voisine, selon la Cour de cassation française, outrepasse ses pouvoirs, le dirigeant qui conclut avec le directeur technique de l’entreprise une convention aux termes de laquelle la société s’engage à verser le quart de son actif en cas de rupture ou en cas de non-renouvellement du contrat de travail. Cette convention entraîne une diminution du capital social et nécessite donc, une modification des statuts qui ne peut être que l’œuvre des sociétés[9].

Plus récemment, la Cour de cassation française décide que « ne donne pas base légale à sa décision…, la Cour d’appel qui accorde au bénéficiaire d’une promesse de vente de fonds de commerce, non suivie d’effet, l’indemnité conventionnelle de résolution, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si la cession promise par le gérant, sans autorisation des associés, n’impliquait pas une modification des statuts quant à la détermination de l’objet social, pour laquelle la loi attribue expressément compétence aux associés »[10].

      Dans le même ordre d’idées, la société n’est pas engagée par les actes du dirigeant qui emportent dissolution indirecte de la société. C’est ainsi que la vente d’un fonds de commerce unique peut constituer une décision indirecte de dissolution en ce qu’elle a pour résultat de mettre fin à l’activité sociale[11]. En revanche, le même acte ne constitue pas dissolution indirecte, si le fonds de commerce aliéné n’est pas l’unique fonds exploité par la société, ou parce qu’il est possible de réinvestir le prix perçu dans l’achat d’un autre fonds[12] et toutes les fois que la vente du fonds ne constitue pas, à elle seule, un obstacle au maintien de l’activité de la société. La Cour de cassation française a, ainsi, admis la validité de la cession d’un bail des lieux ou est exploité un fonds de commerce de la société, au motif que l’opération ne portait pas atteinte à l’activité de la société qui « pouvait exercer son exploitation commerciale dans toutes les villes de France, et même à l’étranger »[13]. De même, « la compagnie universelle du canal de suez » a, malgré la nationalisation de ce canal, continué une brillante carrière. Outre l’exploitation du canal, les statuts prévoyaient que la société pouvait s’adonner à diverses activités financières[14].

Ainsi, les tiers doivent faire preuve d’une vigilance particulière à l’égard des actes qui revêtent la forme d’actes de gestion ordinaires et relevant de la compétence du dirigeant, mais qui sont en réalité un empiétement sur une décision qui aurait du être prise par la collectivité des associés.

La protection du tiers contractant avec la société par le biais de la plénitude des pouvoirs du dirigeant représentant la personne morale et par le biais du principe de l’inopposabilité aux tiers des limitations conventionnelles des pouvoirs du dirigeant ne peut être applicable aux pouvoirs de la collectivité des associés. Les tiers se doivent de bien distinguer entre un acte pris par le dirigeant opposable à la société même en présence d’une limitation statutaire et un autre acte qui serait inopposable à la société parce qu’il emporte nécessairement une modification des statuts ou même une dissolution de la société et donc empiète sur les pouvoirs de la collectivité des associés.






[1] ARRGHI (J-P), Apparence et réalité, Contribution à l’étude de la protection des tiers contre les situations apparentes, Thèse, Nice, 1974, p.138 et 139.
[2] GUYON (Y), Droit des affaires, Tome 1, droit commercial général et sociétés, 9ème édition, Economica, Paris, 1996. , n°495.
[3] L’objet social peut indiquer que l’activité de la société sera exercée dans un immeuble déterminé ou devra s’exercer dans un fonds de commerce précis. La vente de ces biens est, avant tout, une modification statutaire puisqu’elle implique une modification de l’objet social qui est, en premier lieu, une mention statutaire. MICHA-GOUDET (R), « objet social », J.CI sociétés, éditions 1999, Fasc. 9-20, n°5 ; BLAISE (H), Chron. précitée, n°42.
[4] Cass.com, 12 janvier 1988, Rev. Sociétés 1988, p.263.
[5] STORK (M), « Sociétés à responsabilité limitée, Gérance, Organisation, Pouvoirs », J.CI sociétés, édition d 1998, Fasc. 74-10, n°95
[6] Amiens, 16 janvier 1985, Gaz. Pal, 1985, p.212.
[7] Cass. Com, 18 octobre 1979, Bull. civ, n°35.
[8] Paris, 15 mars 1957, s.1957, 2, 157, confirmant trib. Civ. seine, 3 mai 1956, Somm. 160.
[9] Com. 24 février 1953, J.C.P. 1953, II, 7626 note J.R.
[10] 18 octobre 1994, Cass. Com, Rev. sociétés, avril-juin, 1995, p.284.
[11] GUYON (Y), op.cit, n°495.
[12] 17 mars 1954, précitée.
[13] Cass. Com, 13 novembre 1957, D. 58, 269 ; 21 Novembre 1990, Rev. sociétés 1991, somm, p.390.
[14] COZIAN (M) et VIANDER (A) DEBOISSY op.cit, n°153.

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