mardi 13 novembre 2012

Le dirigeant peut-il effectuer des actes à titre gratuit au nom de la société ?



Une société commerciale est classiquement définie comme un contrat par lequel deux ou plusieurs conviennent d’affecter en commun leurs apports, en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourrait résulter de l’activité de la société[1]. Une telle définition  implique nécessairement que la constitution et l’existence même  de la société soit gouvernée par une finalité intéressée que la doctrine qualifie classiquement de spécialité légale de la société[2].

Est-ce que le dirigeant, qui dispose en principe des pleins pouvoirs, peut effectuer des actes à titre gratuit, telle qu’une donation par exemple ? En d’autres termes, les pouvoirs du dirigeant englobent-ils les actes de pure bienfaisance, les libéralités et tout acte à titre gratuit ?

La réponse à cette question peut être envisagée selon deux optiques différentes. L’une consiste à partir du principe de la finalité intéressée lui-même. L’autre consiste à partir de l’assimilation par le législateur des personnes morales aux mineurs. Dans l’une ou l’autre de ces perspectives, l’enseignement qui se dégage est le même. Il est très discutable de penser qu’une société puisse être engagée par des actes dépourvus de toute finalité intéressée, telle qu’une donation.

Selon la première optique, adoptée par une partie de la doctrine française, le principe de la finalité intéressée n’est qu’une exception qui vient limiter la pleine capacité de jouissance de la société[3] et qui est complétée par la spécialité statutaire, laquelle vient cantonner la société dans une activité plus précise[4].


Contrairement à la spécialité statutaire qui n’est pas infranchissable, puisque les associés peuvent modifier les statuts pour élargir l’objet social, la spécialité légale, en tant que délimitation de la capacité de jouissance de la société, interdit, à la société d’effectuer des actes à titre gratuit[5]. Ces derniers sont aux antipodes de la spécialité légale[6]et de la finalité intéressée de la société.

Toutefois, il n’est pas discuté que la société puisse bénéficier d’une libéralité, puisqu’il s’agit là d’un moyen comme un autre de réaliser des bénéfices[7]. Ensuite, il est reconnu qu’une société puisse valablement effectuer des actes gratuits, dés lors qu’elle le fait accessoirement à son activité commerciale. Elle peut consentir un abandon de créances à sa filiale[8]. Elle peut accorder une pension complémentaire à un salarié qui se retire[9].

Les auteurs admettent en effet qu’il faut se garder de se fier aux apparences, la gratuité n’exclut pas toujours un intérêt patrimonial. Il faut distinguer entre les actes de pure bienfaisance et ceux dont la bienfaisance s’explique par la poursuite d’un intérêt patrimonial[10].

C’est ainsi que les activités de « Mecennat » et de « Sponsoring » revêtent le plus souvent, un caractère intéressé. Une société qui subventionne une activité culturelle, sportive voir d’intérêt général, le fait principalement, dans un but de promotion commerciale et dans le dessein d’améliorer son image de marque[11].

Il est évident qu’une telle distinction est difficile à opérer. En effet, elle fait intervenir le critère de l’intérêt de la société, lequel est très difficile à définir et à identifier.

En tant que personne morales, les sociétés commerciales sont assimilées à des mineurs dans nombreux systèmes juridiques. Or, la question de la capacité des mineurs, et plus précisément celle des actes à titre gratuit pris en leurs noms, est règlementée généralement dans un sens protecteur du mineur contractant et de son patrimoine[12]

Il en découle logiquement, que les actes à titre gratuit, effectués au nom d’une société commerciale assimilée à un mineur, ne sont pas valables à l’exception du cas dans lequel le mineur tire un avantage de l’acte litigieux. Ainsi, les dispositions relatives à la capacité des mineurs ne semblent permettre de considérer valables, que les actes à titre gratuit qui profitent aux mineurs.

Néanmoins, il faut reconnaître que le recours à ces dispositions n’est pas aussi judicieux qu’il puisse le paraître. En fait, même si les sociétés commerciales sont assimilées à des mineurs, les pouvoirs des dirigeants sociaux sont règlementés par des dispositions spéciales du droit des sociétés commerciales. L’existence de ces dispositions spéciales exclut le recours à celles, plus générales réglementant les actes touchant le mineur conformément au principe général faisant que le spécial déroge au général



[1] Definition retenue par l’article 2 du Code des Sociétés Commerciales Tunisien
[2] GUYON (Y), Droit des affaires, Tome 1, droit commercial général et sociétés, 9ème édition, Economica, Paris,1996. , n°188.
[3] GUYON(Y), « La personnalité morale des sociétés », J.CI sociétés, Fasc. 28-15, n°42 et s ;
[4] Idem.
[5] En matière de sociétés commerciales, le concept « spécialité légale » peut recevoir deux appréhensions différentes. Il désigne d’abord, le principe qui fait que l’activité de certains types de sociétés est cantonnée dans un domaine déterminé, et renvoie aussi au principe selon lequel une société commerciale est constituée en vue de partager des bénéfices ou de réaliser des économies
[6]  PRIETO (C), La société contractante, P.U.A.M, 1994, n°70.
[7] GUYON (Y), Chron. précitée, n°45.
[8] 27 novembre 1981, n°16814, Rev. Sociétés, 1982, p. 321, note BLANCHER.
[9] Cass. Soc, 10 juillet 1975, Rev. Sociétés, 1976, p.326, note GUYON.
[10] PRIETO (C), op.cit, n°70 et s.
[11]  GUYON (Y), Chron. précité, n°54.
[12] l'article. 5 du C.O.C ; Par ailleurs, l’article 16 du C.O.C. dispose que « les actes accomplis dans l’intérêt d’un mineur, d’un interdit ou d’une personne morale, par les personnes qui les représentent et dans les formes établies par la loi, ont la même valeur que ceux accomplis par les majeurs, maître de leur droits. Cette règle ne s’applique pas aux actes de pure libéralité, lesquels n’ont aucun effet, même lorsqu’ils sont fait avec autorisation requise par la loi… ». En outre, l’article 156 du C.S.P. dispose que « l’enfant qui n’a pas atteint l’âge de treize ans accomplis est considéré comme dépourvu de discernement et tous ses actes sont nuls… »

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